TRIBUNE
Claude Alphandéry
Fondateur et président d’honneur du Labo de l’Economie Sociale Solidaire
Claude Alphandéry : 100 ans de résistance au service de la coopération
En cent ans de vie, j’ai vécu deux périodes lourdes d’horreur et de souffrance :
- En 1940, l’effondrement de mon pays, une défaite radicale, un asservissement implacable ;
- Depuis la fin des années 70, des crises successives moins foudroyantes, plus insidieuses, mais tout autant destructrices.
Dans les 2 cas, les maux endurés impulsent des résistances :
- A la fin de la guerre, en 1943-44, les maquis contribuent à la victoire et simultanément à la démocratie sociale par le programme du Conseil National de la Résistance.
- Aujourd’hui, des actions sociales, solidaires et durables réparent ou réduisent les effets délétères d’une économie engagée dans une compétition sans frein vers des profits financiers sans limite. Elles proposent une sortie de crises par un modèle économique plus respectueux de la nature et de l’humain.
Les entreprises engagées dans cette nouvelle résistance se multiplient, mais sont encore trop fragmentées pour créer un mouvement puissant et mobiliser l’opinion vers une économie alternative. Certaines initiatives vont néanmoins plus loin : des entrepreneurs s’engagent peu à peu dans des expériences de coopération élargie et complexe. Ils nouent des projets communs autour d’activités généralement distinctes, forment des partenariats inattendus, créent des circuits d’échange inhabituels, et ainsi renouvellent radicalement leur mode de production.
Le Labo de l’ESS est né il y a 12 ans en lien, et pour conforter ces expériences. Il les repère, les scrute, analyse leurs méthodes, leurs moyens, leur situation sur le marché. Il évalue et met en lumière les bénéfices monétaires et existentiels, immédiats et à plus long terme que l’on peut en tirer. Il étudie également les difficultés rencontrées : au sein de leurs entreprises, des désaccords de méthode voire des conflits d’intérêt à surmonter ; à l’extérieur, des appels à projet laborieux pour des financements incertains.
Il n’est pas isolé ; sa démarche est encouragée, souvent facilitée par des collectivités régionales ou locales voyant dans ces expériences un espoir de développement de leur territoire. Elle l’est aussi par des groupements tels que le Pacte du Pouvoir de vivre – qui unit la CFDT et 60 organisations civiques – les fabriques de transition, les PTCE, les Tiers Lieux et bien d’autres.
A chacun son rôle particulier, son terrain de choix. Il est bon de laisser se développer des formes diverses d’entraide et de renouvellement, encore faut-il, entre ces différentes démarches, des liens aussi souples qu’efficaces pour gagner en complémentarité et en émulation. Ces liens ne constitueraient pas un lieu de pouvoir, de direction, mais une entente dégageant une force de réflexion, d’échange et de communication disposant d’un site, d’une lettre, créant des évènements communs. Elle donnerait aux travaux de chaque organisation plus d’influence sur l’opinion, plus de poids sur les investisseurs publics et privés pour mener à bien la transition écologique et sociale.
Le Labo est partie prenante de ces coopérations pour un changement systémique de notre économie, une évolution positive de notre société où les conflits s’apaisent, les activités ne menacent plus les personnes et la planète. Il regroupe des acteurs de terrain et des forces vives pour construire ces récits positifs et convaincre le plus grand nombre.
Que vive la coopération, et fleurissent les initiatives de l’ESS !
Claude Alphandéry
Naissance | (100 ans) Paris |
---|---|
Nationalité | Française |
Formation | École nationale d’administration (– Lycée du Parc |
Activités | Homme politique, militaire, banquier, économiste, résistant |
Partis politiques | Parti socialiste Parti communiste français |
---|---|
Membre de | Club Jean-Moulin |
Arme | Forces françaises de l’intérieur |
Grade militaire | Lieutenant-colonel |
Conflit | Seconde Guerre mondiale |
Distinction | Grand-croix de l’ordre national du Mérite () |
CLAUDE ALPHANDÉRY
« Prophète joyeux », « banquier altruiste », « éternel résistant», « voyou affectueux » : de Michel Rocard à Edgar Morin, chacun a sa formule pour évoquer Claude Alphandéry, qui a investi près de 90 ans d’énergie et d’idées au service de l’intérêt général. Il est aujourd’hui considéré comme l’une des grandes voix de l’Economie Sociale et Solidaire – cette « autre économie » qui fait passer les hommes, l’environnement et les territoires avant le profit. Résistant à 18 ans, membre du Parti Communiste jusqu’en 1956, haut fonctionnaire à la direction du Trésor, président de la première banque française spécialisée dans l’habitat social : une carrière d’exception, qui l’a aussi conduit à développer France Active, premier réseau de finance solidaire en France.
Une si vive résistance
Comment celui qui fut résistant à 18 ans, militant communiste puis directeur de banque, a développé France Active, premier réseau de finance solidaire, et est devenu le porte-flambeau de l’Economie Sociale et Solidaire.
Ce livre est le portrait d’un agitateur d’idées, dont « l’énergie persistante » ne cesse de surprendre. C’est le parcours d’un humaniste, nourri des discussions dans le maquis sur l’avenir de la démocratie sociale. C’est surtout l’appel d’un éternel résistant à agir pour une métamorphose radicale de la société au profit des plus humbles.
Préface d’Edgar Morin
Ma formule favorite est : « Tout ce qui ne se régénère pas dégénère. ». Car je sais que rien n’est irréversiblement acquis. Il y a les scléroses, les dérives, les dégradations. Combien en ai-je connus qui se sont sclérosés, dégradés, ou se sont laissés dériver bien loin de ce qu’ils furent ou de ce qu’ils espéraient, désiraient. Aussi cette formule m’aide-t-elle à tenter de rester fidèle aux aspirations de ma jeunesse. J’avais connu, assez peu, Claude, juste après la Libération. C’était une soirée « progressiste », comme on disait alors pour qualifier tout ce qui était procommuniste. Le poète Anselme y avait déclamé son poème « Un bateau yougoslave est entré dans le port de Marseille », où il exaltait le régime de Tito. Ce dernier n’avait pas encore été excommunié par le Kominterm (et après l’excommunication, Anselme transforma le bateau yougoslave en bateau bulgare). Au cours de cette soirée, Claude me pressa d’essayer de convaincre son ami, le poète Pierre Emmanuel, de rallier les rangs du « progressisme ». Il était chaleureux, ardent, enthousiaste.
Nous étions l’un et l’autre animés par l’aspiration à l’émancipation des exploités et des humiliés, à la fraternité internationale, à un monde meilleur — ce que nous annonçait le communisme comme idéologie —, et nous pensions que la victoire du communisme en 1945 allait débarrasser l’URSS de ses scories et altérations (que nous attribuions à l’encerclement capitaliste et au poids rétrograde de la Russie tsariste). Depuis, nous avons, chacun selon son expérience, perdu toute illusion sur l’URSS. J’ai cheminé de mon côté, au sein du CNRS ; lui, au sein du monde financier et bancaire, tous deux ne nous rencontrant que fugitivement. Et puis, voici quelques mois, alors que, dans ma recherche de voie nouvelle pour l’humanité, je découvrais l’intérêt et l’importance de l’économie sociale et solidaire, je rencontre pour de bon Claude Alphandéry, et quel n’est pas mon bonheur de constater qu’après presque soixantedix années de cheminements tellement différents, nous sommes restés les mêmes, je veux dire, avec les mêmes aspirations de jeunesse, mais cette fois, sans illusions, chacun ayant découvert les complexités humaines et les complexités des problèmes. Quelle joie, depuis, de retrouver, à chacune de nos rencontres, cette juvénile ardeur, cet élan pour le bien collectif, cette âme militante, non plus au sein d’un même parti, mais au sein d’un même pari. Il porte en lui le principe de la régénération permanente, qui est celui de la vie. Il n’a pas dérivé, il ne s’est pas sclérosé, il ne s’est pas dégradé. Il s’est bonifié.